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L’OMBRE DE MICKEY



Allant vers l’inconnu (le numérique), j’ai voulu partir du connu (mon atelier) et d’une fonction basique de Photoshop (le calque), ceci en réaction aux œuvres 2 ou 3 D vues juste avant de m’y mettre.


Un excès de bonbons agace les dents. Des beautés surnuméraires défilent au hasard des clics de souris et s’équivalent. L’enfant, au bout de cinq minutes, lâche le kaléidoscope, ses mille géométries fractales (virtuel) et court dans le pré (concret). Trop parfaites, trop pareilles, trop plurielles pour être réelles : le cerveau décroche, n’enregistre plus le flux d’images qui s’engendrent et se déploient somptueusement, inutilement.


Comme un mauvais romancier, je suis parti d’un titre qui traînait, parmi d’autres, dans une liasse de papiers où attendent mes idées . « L’ombre de Mickey plane sur mon atelier : tout va affreusement bien ». Parce qu’il contenait le mot atelier. Et parce que cette phrase avait, par hasard, un sens politique: l’ombre de la suprématie culturelle anglo-saxonne pèse sur mon atelier d’artiste français et pourtant je continue de créer, d’accumuler des œuvres, somptueusement, inutilement.


Et donc, pour mes premiers pas dans le numérique, le lieu et la formule, d’un coup : Mickey himself ou son ombre atomisée allait se surimpressionner  à mon atelier, agir comme un filtre, une peau de surface venant brouiller, complexifier la peau du fond  : telle ou telle vue concrète de l’atelier.


Question of balance. Empêcher la lecture narrative, autobiographique de ce lieu sans trop altérer sa visibilité. Donner à voir mon atelier tout en le masquant. Imposer une dominante orange tout en laissant transparaître d’autres couleurs, vives et non contaminées par ce balayage quasi monochrome. Faire s’interpénétrer le premier et l’arrière plan jusqu’à ce que ces deux plans picturaux se fondent, s’aplatissent et forment un seul espace. Écraser les deux images pour qu’elles n’en forment plus qu’une, complexe mais lisible.


Un jour, un ami est venu à mon atelier, m’a tendu son appareil photo numérique et m’a dit : « tu veux faire du numérique, vas-y, shoot ». J’ai donc capturé une vue de l’atelier (celle avec la porte rouge dans le fond) et aussi un détail de la bâche orangée avec l’ombre abstraite de Mickey et de Minnie. Puis, sur l'écran de l'ordinateur, nous avons recouvert la Vue par le Mic. A commencé alors une longue errance numérique pour dépixeliser la couche picturale Mic et laisser apparaître la Vue occultée par l’image du dessus.


Une fois le process mis au point, j’ai shooté x Vues et y Mics avec mon vieil Hasselblad, les ektas étant décidément supérieurs aux captures numériques. Une fois scannés ces ektas en haute résolution, nous nous sommes de nouveau scotchés devant l’écran pour un long travail de dématérialisation des Mics afin de laisser transparaître les Vues. Pas autre chose, dans le fond, ces calques oscillant entre l’opaque et le transparent, que le fondu-enchainé des projecteurs Leitz d’antan ou la surimpression. Sauf que c’est beaucoup plus long et qu’il a fallu, chez le reprographiste dont l’imprimante jet d’encre Rolland à pigments était calibrée tout autrement que notre écran, corriger la dérive chromatique, c’est à dire tout refaire.


Ceci, mais c’est une autre histoire, m’a amené à faire une seconde série, M ACTION, directement à l’Hasselblad, le viseur étant plus confortable que l’écran d’ordinateur. Et, surtout, ce qui était fait n’était pas à refaire : des prises de vue où se surimprimaient directement deux Mickey sur une bâche orangée, le choix du meilleur ekta, le tireur d’élite (Choi) fait son travail avec masquage, danse des mains, etc. Abracadabra et l’œuvre (le tirage Cibachrome) est là.


Philippe de Croix


29 avril 2000

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