( LIQUID SLIDES )
" Des formes qui se déforment sans fin "
Gaston Bachelard
FILM VIDÉO NUMÉRIQUE
TOURNAGE: JUIN 2001
DURÉE : 13’14”
FORMAT : MINI DV
CONCEPT : PHILIPPE de CROIX
LIEU : ATELIER DE PHILIPPE de CROIX
RÉALISATION : PHILIPPE de CROIX
OLIVIER ROSET
Shootant tant et plus mon atelier lui-même, débarrassé de ses Mickey-filtres (M ACTION), sur de grands réflecteurs faits maison (je voulais éviter la narration, le pathos et donc la vue directe, la photo straight, l’atelier tel avec ses strates de travail et de vies), j’étais frustré, pour chaque capture lente et parfaite à l’Hasselblad, de perdre des milliers de points de vue, une infinité de distorsions de l’atelier.
Ces distorsions d’atelier avaient un titre : STUDIO LIFE. Mot à mot : VIE DE L’ATELIER. Dans mon esprit, je me référais plutôt à STILL LIFE et donc les deux expressions signifiaient, en se percutant et en se commutant ( STUDIO standing for STILL) : NATURE MORTE DE L’ATELIER ou L’ATELIER EN TANT QUE NATURE MORTE . STUDIO(STILL)LIFE .
D’où l’idée d’introduire le mouvement : une caméra numérique pour capturer plus et plus vite, perdre moins de ces beautés aléatoires, fluides et changeantes le temps d’un battement de paupière. Le titre de ma première vidéo s’imposait de lui-même : MOTION STUDIO LIFE . Mot à mot : VIE DE L’ATELIER EN MOUVEMENT.
Là, il y avait collusion de sens entre MOTION PICTURE, film mais aussi images en mouvement, STUDIO, les hangars et plateaux où on fabrique les films mais aussi l’atelier du peintre. Bref, les langages de l’atelier et du cinéma mêlaient leurs mots uniques à sens double pour un titre qui contenait le film et qui le généra, le déploya de façon naturelle et simple. MOTION(PICTURE) STUDIO(STILL)LIFE.
Il se trouvait que le “studio” (lieu de tournage) était l’atelier et que cet atelier, en tant que nature morte en mouvement, était le sujet, le décor, l’acteur, l’unique scénario d’un film ni abstrait ni narratif mais, plutôt, concret (comme il y a une peinture concrète, uniquement préoccupée par la visible mise en œuvre de ses moyens picturaux : rapports peinture/support/mur, cf. Robert Ryman où c’est l’objet-tableau lui-même qui est figure et le mur fond) : captation mouvante de la vie de l’atelier faite d’immobile mobilité ou de mobile immobilité, les deux se perçoivent dans cet espace atone et vibrant qu’est un atelier même au repos.
Il me restait à trouver un complice ayant déjà manié une caméra numérique pour shooter, en et dans le mouvement cette fois-ci. Après une première tentative improductive avec le fils d’un ami, Olivier Roset débarqua dans mon atelier et deux après-midi de tournage (crépuscule inclus) en juin 2001 suffirent à capter les rushs de ce film expérimental.
L’un tenait la caméra pendant que l’autre « animait » le réflecteur. Notre unique souci était de produire du mouvement, d'animer cet atelier statique. On secouait les surfaces réfléchissantes à différents rythmes, vitesses, inclinaisons. Il arrivait aussi que l’un des deux passe hors champ devant les réflecteurs (nous en avons utilisés de plusieurs types et matières) afin que sa silhouette occulte l’image réfléchie comme une ombre noire et mobile et, ainsi, l’anime. Nous pouvions agir en symbiose et réagir en temps réel grâce à un moniteur qui nous permettait de voir ce qui était tourné, que l’on soit à la caméra ou à l’animation. J’avais scotché aux fenêtres panoramiques à petits bois des rectangles de rhodoïd et ces taches colorées, géométriques, transparentes et vives donnèrent une griffe chromatique au film (une quasi fluorescence) comme précédemment à la série photographique.
On ne saurait tout prévoir : dans une mise en œuvre expérimentale, la praxis déforme toujours les prémisses (c’est pourquoi il faut à la fois se tenir au propos initial tout en s’appropriant les aléas heureux du faire).
Deux surprises majeures se voyaient sur le moniteur, dés les premières minutes de tournage :
.la première était purement numérique. Quelque chose se passait entre les trois capteurs RVB du caméscope et les réflecteurs chromés. Les formes captées de l’atelier s’anamorphosaient les unes dans les autres, s’affirmaient puis se délitaient. Mais, sur l’écran du moniteur uniquement (et non en vision directe sur le réflecteur même), toutes ces images frémissaient, s’enchaînaient d’ondoyante façon comme sur ou sous une surface d’eau métallique, de vif-argent. Ce phénomène était une invention numérique, non visible à l’œil nu dans l’atelier, due au mouvement, aux secousses imprimées aux réflecteurs et à leur capture digitale (je doute que la même singularité optique se soit produite avec une caméra analogique).
.la seconde a été la découverte de « zones de sensibilité picturale » (en abréviation : zsp). Peut-être parce que c’était un atelier chargé de dix-huit ans de pratique, toutes les zones filmées étaient imprégnées de cette sensibilité picturale, comme si des fantômes de peintres étaient convoqués, à tel point qu’au montage sur Final Cut Pro, j’ai nommé les séquences, pour nous aider à les repérer :
.zsp Dali/Miro/Arp
.sas Velasquez
.foetus 2001
.zsp Léger
.zsp Braque
.fenêtre Soutine
.travelling toiture zinc Sutherland, etc.
Ce premier film numérique d’un peintre sur son atelier n’est qu’un flux de formes/textures/couleurs qui se déploient sans heurt, sans histoire (autre que la peinture), anamorphoses de formes qui se transforment, naissent et se dissolvent sous vos yeux, glissent fluidement, liquid slides, liquid days, sans fin et sans propos. Cette vidéo sera opérante si vous vous laissez capter par les images distordues qui se projettent sur la paroi concave de l’atelier comme sur celle d’un aquarium sans bord ni bordure, invisible à qui, homme ou poisson, est "dedans".
Philippe de Croix
2 février 2005
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