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RÉPONSES À DES QUESTIONS ÉLÉMENTAIRES




QU’EST-CE QU’UN ARTISTE ?


Un artiste est quelqu’un qui ne peut se passer du faire de l’art pour être au monde. C’est sa façon d’être, d’y être, d’en être. Il souffre d’un excès de présence au monde et, dans le même temps, d’une certaine absence - incomplétude. Acuité/vacuité : l’artiste fait avec, dans un déséquilibre avant qui est sa vie. Nous créons ensemble le même tonal, la même description du monde. L’artiste est celui qui sait intimement que « la carte n’est pas le territoire ». Il indique une autre perception, un autre état du monde.


LA QUESTION DU FAIRE : COMMENT TRANSFORMES -TU LA PULSION EN ACTE ?


Des perceptions, des idées, des obsessions picturales, des matériaux, des technologies détournées s’accumulent sous forme de notes,de dossiers, de documentations, de phrases fétiches, d’adresses, de croquis. Ils dorment là, sur la table, dans mon cerveau. Un jour, tout se rassemble, s’assemble, s’hybride et forme un tout donné d’un bloc. Il n’y a plus qu’à faire.

La pulsion, c’est ce qui rend actuel tel projet qui attendait parmi d’autres d’être matérialisé. Ce désir, cette urgence, ce concept subissent les aléas du faire: la praxis déforme les prémisses et aboutit à l’œuvre qui n’est autre que l’idée mise en acte.


OÙ EST LE PLAISIR ?


Le plaisir est dans l’écart entre le projet et sa réalisation. Ce qui est donné à voir est et n’est pas ce qui fut d’abord pensé. L’économie ludique de la surprise dont l’artiste jouit en premier se répercute ensuite sur les regardeurs. Ce décalage du projet et de l’objet crée la beauté qu’ils explorent.


QU’EST-CE QUE LE PUBLIC ?


Une entité multiforme, destinataire de la beauté exposée sur laquelle elle agit/réagit. « Il n'y a pas de monde mais de monde perçu», écrivait Merleau-Ponty. Semblablement, il n’y a pas d’œuvre en elle-même mais d’œuvre perçue. Principe de déception, principe de complétude : tantôt l’exposition, tantôt le public se déçoivent ou se complètent.


QUELS SONT TES PÈRES ET COMMENT LES AS-TU TUÉS ?


Les figures d’autorité esthétique ne sont pas forcément des pères. Je n’ai pas été engendré par mes premières ou actuelles fascinations. La singularité d’un artiste est dans ce jeu entre attention et résistance à ses pairs. Il ne fait pas comme mais avec. Parmi tant d’autres : Staël, Klein, Giacometti, de Kooning, Rothko, Newman, Johns, Warhol, Kiefer, Polk,Viola, Kapoor, Gormley, Arad ... Je n’ai pas eu à les tuer, ils vivent encore ou non, ils me hantent encore ou non. L’artiste est un ogre qui transforme ses figures paternelles en énergie, en calories, en envie de faire. Il ne les tue pas, il ne les copie pas, il les ingère, les intègre dans sa propre alchimie ou simplement s’en désintéresse.


LE CONTRÔLE DE LA RAISON ET LE DÉRAPAGE DE L’INCONSCIENT ?


L’empire de la raison est la soumission aux causes, ce qui n’est pas sans conséquences. Cause toujours est la réponse de l’inconscient à cette douceâtre dictature. Le rôle de l’artiste n’est pas d’analyser la sublimation mais d’en bénéficier. Je suis un artiste expérimentaliste, j’ai besoin du rapport de cause à effet quand je mets en place tel ou tel dispositif pour mieux le transgresser. Le faire d’une œuvre est un acte manqué réussi : il dérape toujours et révèle autre chose que ce qui était prévu. L’inconscient déborde le projet et se révèle dans les aléas de la mise en formes. Cette chose, autre et même, est à la fois œuvre et attitude. Dans le fond, je ne sais pas ce que c’est. Elle est curieusement impersonnelle. Elle vient de moi et va aux autres. Le regard des autres,leurs paroles s’en saisissent, la définissent, l’altèrent ou la magnifient à travers leur propre inconscient.


QU’EST-CE QUE L’AUTRE POUR TOI ?


« Je est un autre » écrivait Rimbaud. L’autre c’est moi et ce n’est pas moi.C’est lui et c’est moi. Altérité et identité. « Tous pareils », disait Giacometti.Ce qui nous différencie est infime par rapport à ce que nous partageons, à ce que nous créons en commun : le monde tel que nous le percevons. Nous ne percevons pas le monde mais le monde perçu. Cette création consensuelle est notre bulle, notre aquarium où nous nageons de concert. L’autre est donc le co-créateur de notre univers. Sans lui, les choses reprendraient le dessus: inhumaines, silencieuses, autres.


QU’EST-CE QUE T’AS ENVIE ?


Qu’est-ce que j’ai en vie ? J'ai envie de faire aller la vie fluidement, intensément. De capter l’entour. De transformer l’énergie vitale en formes-couleurs-lumière-sons. De mêler librement, sans contrainte, cette énergie (la mienne) à d’autres. De créer des œuvres qui ne soient ni miennes ni leurs mais autres. Allers-retours soi/l’autre/soi. Jusqu’à l’instant on-off.


Philippe de Croix


12 avril 2003

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